CHAPITRE VI
Leia patientait dans la salle des communications privée. Elle poussa un soupir, jetant un nouveau coup d’œil au chronomètre.
L’ambassadeur caridan était en retard ; c’était une marque certaine de dédain.
Par déférence envers le diplomate, elle avait réglé son horloge à l’heure caridanne. Bien que l’ambassadeur Furgan ait décidé de l’horaire de la transmission, il ne prenait pas la peine de s’y tenir.
A cette heure, les gens sensés dormaient… Mais personne n’avait promis à Leia Organa Solo que les diplomates travaillaient à heure fixe.
Quand survenaient de telles corvées, Yan râlait d’être réveillé au milieu de la nuit, assurant que même les pirates et les contrebandiers exerçaient leurs activités à des horaires civilisés.
Cette nuit, le réveil avait sonné dans une chambre vide.
Yan n’avait toujours pas appelé.
Par les portes vitrées de la salle, Leia voyait un droïd d’entretien nettoyer le couloir, la seule activité visible dans le grand palais endormi.
Avec les parasites caractéristiques d’un transmetteur mal réglé, l’image de l’ambassadeur Furgan de Carida se forma au centre de la colonne holographique de réception. La mauvaise qualité de la communication était sans doute délibérée – encore une insulte.
Le chronomètre informa Leia que l’ambassadeur avait lancé la transmission avec six minutes de retard. Il ne s’excusa pas ; la princesse ne releva pas l’affront.
Furgan était un humanoïde au tronc en forme de tonneau. Sur son visage carré, ses sourcils se relevaient comme les ailes d’un oiseau. Malgré la haine connue de l’Empereur pour les races non humaines, les Caridans avaient été acceptés à son service. Il avait même fait construire son académie la plus importante sur Carida.
– Princesse Leia, dit Furgan, vous vouliez discuter de détails techniques avec moi ? Je vous prie d’être brève.
Il croisa les bras sur sa puissante poitrine ; Leia nota l’agressivité de son langage corporel.
Elle tenta de ne pas montrer son exaspération :
– Pour des raisons protocolaires, je préfère que vous m’appeliez par mon titre ministériel, plutôt que nobiliaire. La planète où j’étais princesse n’existe plus.
Elle lutta pour garder une expression neutre.
Furgan lui répondit d’un revers dédaigneux de la main :
– Très bien, ministre, de quoi vouliez-vous parler ?
Leia prit une grande inspiration :
– Je désirais vous informer que Mon Mothma et les autres membres du Conseil de la Nouvelle République organiseront une réception officielle pour célébrer votre venue sur Coruscant.
L’ambassadeur se renfrogna :
– Une réception ? Suis-je censé prononcer un chaleureux discours ? Ne faites pas erreur, je viens sur Coruscant en pèlerinage, pour visiter le monde du regretté Empereur Palpatine, pas pour être choyé par une bande de terroristes. Notre loyauté appartient toujours à l’Empire.
– Ambassadeur Furgan, il n’existe plus d’Empire. (Il lui fallut faire appel à des techniques Jedi pour garder son calme ; elle sourit :) Néanmoins, nous vous recevrons dans l’espoir que votre planète s’adapte à la réalité politique de la Galaxie.
– Les réalités politiques changent, rétorqua le Caridan. Reste à voir combien de temps durera la Rébellion.
L’image de Furgan disparut dans une gerbe de parasites. Leia soupira et se massa les tempes afin de repousser la migraine qui menaçait de la terrasser. Elle quitta la salle de communications avec le moral à zéro.
Quelle manière de finir la journée !
Au Centre de Renseignements Impérial, les heures défilaient sans changement. Le chronomètre interne de Z-6PO l’informa que c’était le milieu de la nuit sur Coruscant.
Deux droïds d’entretien s’occupaient d’un appareil de recyclage d’air. Le bruit des réparations résonnait dans la salle. 6PO préférait le silence de la journée précédente.
Enfermés dans un univers peuplé de données, les droïds informatiques travaillaient comme si de rien n’était.
D2-R2, lui, poursuivait ses recherches sans trêve ni repos.
Un choc sourd fit sursauter 6PO ; un robot d’entretien avait fait tomber un ventilateur.
– Je vais dire deux mots à ces droïds de malheur ! s’exclama-t-il.
D2 se débrancha du réseau en sifflotant. Dans son excitation, le petit astromech tournait sur lui-même.
– Oh ! répondit 6PO. Laisse-moi vérifier, D2. C’est probablement une autre, de tes fausses alertes.
Lorsque les données défilèrent sur l’écran de la console, le droïd doré ne vit rien qui ait pu éveiller la curiosité de son ami – jusqu’à ce que D2 réorganise les informations pour mettre l’accent sur ce qu’il avait découvert. Un nom apparaissait à chaque nouveau fichier : TYMMO.
– Mon Dieu ! C’est en effet étrange. Ce Tymmo me paraît être un excellent candidat. (6PO se redressa, soudain perdu.) Mais maître Luke ne nous a pas laissé d’instructions. Qui prévenir ?
D2-R2 émit un bip, puis un sifflement interrogatif.
Son compagnon se tourna vers lui, offensé :
– Je refuse de réveiller la princesse Leia au milieu de la nuit ! Je suis un droïd-protocole, il y a des coutumes à respecter… Je la tiendrai au courant demain matin.
Sur la terrasse fleurie qui donnait sur les tours impériales, le plateau flottant du petit déjeuner se posa sur la table de Leia. Le soleil déversait ses rayons sur Coruscant. Dans le ciel, des créatures volantes planaient sur les courants d’air matinaux.
Leia fit la grimace en voyant ce qu’on lui avait préparé. Rien d’appétissant. Cependant, elle devait prendre des forces. Elle choisit un assortiment de pâtisseries et renvoya le plateau.
L’appareil lui souhaita une bonne journée.
Elle soupira et grignota un gâteau.
Elle était épuisée, mentalement et physiquement. Leia détestait se sentir si dépendante – même de son époux –, mais elle dormait rarement bien en son absence.
Yan avait dû atterrir sur Kessel trois jours plus tôt, et il reviendrait dans deux. Sans vouloir s’apitoyer sur elle-même, qu’il ne l’ait pas appelée la décevait plus qu’elle n’aurait cru.
Les jumeaux arriveraient sur Coruscant dans une semaine. Yan et Chewbacca seraient de retour d’ici là, et leur style de vie changerait. Avoir des enfants en bas âge dans le palais forcerait Yan et Leia à voir les choses différemment.
Mais pourquoi Solo n’avait-il pas appelé ? Il n’était pas sorcier d’envoyer un message depuis le Faucon.
Elle refusait d’admettre son inquiétude.
Un droïd-protocole ancien modèle approcha :
– Pardonnez-moi, ministre Organa Solo. Quelqu’un désire vous voir. Acceptez-vous de le recevoir ?
Leia posa son gâteau :
– Pourquoi pas ?
C’était probablement un quidam désirant se plaindre en privé, ou un fonctionnaire qui avait besoin qu’elle prenne une décision inutile.
Sa cape vermillon flottant au vent, Lando Calrissian apparut sur la terrasse.
– Bonjour, madame le ministre. J’espère que je ne vous dérange pas.
A sa vue, Leia sentit son humeur s’améliorer. Elle se leva pour l’accueillir. Il lui baisa galamment la main, mais elle ne fut pas satisfaite tant qu’il ne l’eut pas serrée dans ses bras.
– Lando, vous êtes la dernière personne que je pensais voir ce matin !
Il la suivit jusqu’à la table et s’assit en face d’elle. Sans demander l’autorisation, il mordit à pleines dents dans une pâtisserie.
– Qu’est-ce qui vous amène sur Coruscant ? s’enquit Leia.
Elle brûlait d’impatience d’avoir une conversation normale, sans pièges diplomatiques ni répercussions politiques.
– Je viens vous rendre une petite visite. Où est Yan ?
– C’est un sujet tabou ce matin, grommela-t-elle. Il est parti avec Chewie pour Kessel, mais je crois que son voyage lui a servi d’excuse pour revivre le bon vieux temps.
– Kessel n’est pas un secteur de tout repos.
Leia évita son regard :
– Yan ne s’est même pas donné la peine d’appeler en six jours.
– Ça ne lui ressemble pas, mentit Lando.
– Si, et vous le savez parfaitement ! Je suppose que nous nous disputerons à son retour, après-demain. (Elle se força à sourire.) Mais n’en parlons plus. Comment trouvez-vous le temps de revoir vos amis ? Un homme respectable comme vous à tant de responsabilités !
Calrissian évita à son tour son regard ; il semblait nerveux. Il fixa les nouvelles tours étincelantes de la cité. Pour la première fois, Leia remarqua un certain négligé dans son apparence. Ses vêtements étaient froissés, les couleurs délavées.
Lando prit une autre pâtisserie :
– A vrai dire, je suis… entre deux occupations.
Il lui adressa un large sourire ; elle plissa le front :
– Qu’est-il arrivé à votre exploitation minière de Nkllon ? La Nouvelle République n’a-t-elle pas remplacé l’équipement détruit ?
– Eh bien, vous savez… Après la bataille de Sluis Van, il y a eu beaucoup de mauvaise publicité… De plus, Nkllon est un véritable enfer. J’avais besoin de changement.
Les bras croisés, Leia le fixa, sceptique :
– Très bien, Lando, les excuses officielles sont notées. A présent, qu’est-il arrivé à Nkllon ?
Il grimaça :
– J’ai perdu l’exploitation au sabacc.
Elle ne put se retenir de rire :
– Alors, vous êtes au chômage ? (Elle réfléchit.) Nous pourrions toujours vous reprendre comme général. Wedge et vous aviez fait une excellente équipe sur Mon Calamari.
Lando écarquilla les yeux :
– Vous me proposez du travail ? Je ne peux imaginer ce que vous voudriez que je fasse.
– Assister à des réceptions officielles, des dîners…
Avec des commanditaires et de riches mécènes. Les possibilités sont illimitées.
Le droïd-protocole ancien modèle revint, presque bousculé par Z-6PO et D2-R2.
– Princesse Leia ! s’exclama 6PO d’une voix excitée. Nous en avons trouvé un. D2, dis-le à la princesse. Oh, général Calrissian ! Que faites-vous ici ?
D2 émit une série de bruits électroniques, que le droïd doré traduisit :
– D2 vérifiait la liste des gagnants dans les différents établissements de jeu de la Galaxie. Il semble que nous ayons trouvé un homme qui a une chance incroyable aux courses de blob umgulliennes.
6PO tendit une impression des statistiques à Leia, qu’elle donna à Lando :
– Vous comprendrez mieux que moi, dit-elle.
Calrissian lut la page.
6PO ajouta son propre commentaire :
– Si on regarde uniquement les paris gagnants et les perdants, M. Tymmo ne montre rien de particulier. Mais lorsque D2 a calculé les sommes gagnées, vous remarquerez que si M. Tymmo perd souvent des enjeux mineurs, à chaque fois qu’il parie plus de cent crédits sur un blob, celui-ci gagne la compétition !
Lando étudia une série de chiffres :
– Il a raison. Ce n’est pas normal. Je n’ai jamais vu de courses de blob umgulliennes, et je ne suis pas expert, mais je pense que ces statistiques frôlent l’impossible.
– C’est exactement ce que maître Luke recherche, continua le droïd. Pensez-vous que M. Tymmo pourrait être un Jedi potentiel ?
Calrissian regarda Leia d’un air interrogateur. Selon toute vraisemblance, il n’avait pas eut écho du récent discours de Luke à l’assemblée.
Les yeux de Leia pétillèrent :
– Il faut vérifier. Si c’est un escroc, nous avons besoin de quelqu’un qui connaît les établissements de jeu. Lando, n’est-ce pas un travail pour vous ?
Elle connaissait la réponse avant de poser la question.